Remarques concernant les considérations de la CNC eu égard à la restructuration du système ferroviaire espagnol

Alfredo Cabellos Ballenilla, Fernando Sicre Marín.

Uría Menéndez


La présente note à pour objet de présenter les considérations de la Commission Nationale de la Concurrence (la « CNC ») concernant le décret-loi royal nº 22/2012 du 20 juillet 2012, portant diverses mesures en matière d’infrastructures et de services ferroviaires (le « DLR nº 22/2012 »).

Préalablement à l’analyse de la position de la CNC en ce qui concerne les mesures établies par le DLR nº 22/2012, il convient d’exposer de façon succincte les éléments les plus significatifs de cette norme.

1. Le DLR nº 22/2012

1.1 La nouvelle structure de RENFE-Opératrice

L’article 1er du DLR nº 22/2012 a pour objet la restructuration de RENFE-Opératrice au moyen de la répartition, dans quatre sociétés commerciales étatiques dont le capital sera intégralement détenu par RENFE-Opératrice, de l’ensemble des activités de cette dernière. Ainsi, chacune desdites sociétés prendra en charge les fonctions assumées à l’heure actuelle par RENFE-Opératrice (soit directement, soit au travers d’autres sociétés dans lesquelles elle détient une participation).

L’objet social de ces quatre sociétés, rattachées à RENFE-Opératrice, sera au moins constitué par les fonctions et obligations suivantes :

a) Les fonctions et obligations qui, à ce jour, sont assumées par l’unité économique ou la division opérationnelle RENFE-Opératrice de voyageurs (« RENFE-Operadora de Viajeros »).

b) Les fonctions et obligations qui, à ce jour, sont assumées par l’unité RENFE-Opératrice de marchandises et de logistique (« RENFE-Operadora de Mercancías y Logística »), ainsi que celles prises en charge par l’intermédiaire de ses sociétés unipersonnelles Multi RENFE Mercancías, S.A. (laquelle se consacre à la prestation de services de transport multi-produit et en vrac, de solides et de liquides), Irion RENFE Mercancías, S.A. (qui a pour objet la prestation de services ferroviaires pour les marchandises sidérurgiques) et Contren RENFE Mercancías, S.A. (qui se consacre au transport d’unités de transport intermodal (conteneurs).

c) Les fonctions et obligations qui, à ce jour, sont assumées par l’unité économique ou division opérationnelle de RENFE-Opératrice se consacrant à la fabrication et à la maintenance du matériel roulant.

d) La réalisation d’opérations de louage et autres opérations liées aux actifs constitués par le matériel roulant, y compris (bien que de manière subsidiaire) la promotion de la vente et de la mise à disposition dudit matériel.

1.2 L’extinction de Ferrocarriles Españoles de Vía Estrecha (FEVE)

L’article 2 du DLR nº 22/2012 prévoit la suppression et l’extinction, à compter du 31 décembre 2012, de l’entreprise publique dénommée Ferrocarriles Españoles de Vía Estrecha (FEVE), laquelle, conformément à la cinquième disposition transitoire de la loi nº 39/2003 relative au secteur ferroviaire, exploitait le réseau de voie métrique (distincte de la voie ibérique conventionnelle) appartenant à l’État en accord avec ses statuts, approuvés par le décret nº 584/1974.

1.3 Ouverture du marché du transport ferroviaire de voyageurs

Sans attendre à ce que le législateur communautaire décide de manière définitive d’une date à cette ouverture du marché tant de fois annoncée, l’article 3 du décret-loi royal nº 22/2010, consacre la libéralisation des services de transport de voyageurs fournis à travers le réseau ferroviaire d’intérêt général à compter du 1er août 2013.

Par conséquent, à partir de cette date, les titulaires d’une licence d’entreprise ferroviaire disposant du certificat de sécurité ferroviaire correspondant pourront solliciter la capacité d’infrastructure nécessaire à la prestation des services de transport intérieur de voyageurs par chemins de fer au moyen du réseau ferroviaire d’intérêt général.

Il importe de signaler que, dans tous les cas et postérieurement à l’ouverture du marché des services de transport de voyageurs, RENFE-Opératrice conservera le droit d’exploiter la capacité de réseau utilisée par elle de manière effective au 31 juillet 2013 et qu’elle pourra en outre solliciter l’attribution d’une autre capacité de réseau dans les termes prévus par la réglementation en matière ferroviaire.

1.4 Autres mesures en matière d’infrastructures et de services ferroviaires

Outre les mesures précédemment commentées, le DLR nº 22/2012, prévoit celles suivantes :

1.4.1 Viabilité de certaines infrastructures ferroviaires

Les données fournies par le ministère de l’Équipement révèlent que certaines infrastructures ferroviaires sont manifestement sous-utilisées. L’on peut déjà prévoir que, dans de nombreux cas, et suite à la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 11.3 de la loi nº 39/2003 relative au secteur ferroviaire, il sera procédé à la fermeture du service ferroviaire actuellement fourni au sein desdites infrastructures, ainsi qu’à la suppression des services qui y sont prêtés.

1.4.2 Restructuration des services ferroviaires à moyenne distance

Dans un domaine très étroitement lié à la viabilité des infrastructures ferroviaires, le DLR nº 22/2012, enjoint le ministère de l’Équipement de présenter, avant le 31 décembre 2012, une proposition concernant les services de transport ferroviaire à moyenne distance ne remplissant pas une obligation de service public. L’on peut prévoir, dans ces conditions, qu’il soit procédé à la suppression de nombre de ces lignes de transport à moyenne distance, à l’exception de celles remplissant une obligation de service public.

1.4.3 Services de transport ferroviaire interurbain et régional transférés aux régions

Dans le cadre de la libéralisation du transport national de voyageurs, laquelle sera effective à compter du 1er août 2013, l’article 4 du décret-loi royal nº 22/2012 dispose que les régions auxquelles l’ont aurait transféré les fonctions de l’Administration générale de l’État en matière de services de transport ferroviaire de voyageurs interurbain et régional sur le réseau ferroviaire de voie ibérique pourront décider de leur prestation conformément aux dispositions de la réglementation applicable ainsi qu’à celles du règlement (CE) nº 1370/2007 du 23 octobre 2007 du Parlement et du Conseil.

Enfin, cette norme justifie le choix de l’instrument législatif utilisé (un décret-loi royal) sur le fondement de l’urgence des mesures à adopter au vu de la crise économique sévissant en Espagne.

2. Les considérations de la CNC

Lors de sa réunion du 5 septembre 2012, le Conseil de la CNC s’est prononcé sur les questions énoncées ci-dessus, ainsi que sur d’autres contenues dans le DLR nº 22/2012, concernant les mesures susceptibles de concerner le droit de la concurrence. La CNC se positionne en faveur de la libéralisation du secteur ferroviaire en Espagne. Toutefois, elle juge négativement la façon dont la norme a été approuvée ainsi que sa teneur. Elle considère en effet que celle-ci est insuffisante pour atteindre les objectifs qu’elle se fixe, soit en raison des imprécisions, soit en raison des carences qu’elle contient.

Tout d’abord, la CNC conteste le choix de la procédure législative utilisée aux fins d’adoption du DLR nº 22/2012, car selon elle, l’urgence alléguée n’a pas été suffisamment justifiée. Il convient en effet de rappeler que le DLR nº 22/2012 fonde le choix de la procédure choisie sur le caractère urgent de l’adoption des mesures dans le cadre de la crise économique espagnole et, en particulier, sur la réalisation des objectifs de stabilité budgétaire fixés par le Gouvernement.

En outre, la CNC se prononce sur les carences de la réforme, estimant qu’il est impossible de réaliser les objectifs qu’elle prétend atteindre grâce aux mesures introduites. Parmi les questions non traitées, elle cite celles suivantes : a) éviter les obstacles quant à l’accès et à l’expansion posés par la structure actuelle du marché et, b) éliminer les avantages de RENFE-Opératrice par rapport aux autres opérateurs, en application de la dénommée « clause de grand-père », laquelle implique que RENFE-Opératrice maintiendra son droit d’exploiter la capacité du réseau qu’elle utilisera au moment de la libéralisation, au détriment des autres.

En outre, la CNC se prononce sur des questions spécifiques :

  • En ce qui concerne la restructuration de la société commerciale étatique RENFE-Opératrice, la CNC approuve la nouvelle structure de ladite société. Cependant, elle signale que celle-ci s’avérera insuffisante dès lors que l’indépendance de chacune des sociétés doit l’être à tous les niveaux, tant comptable et fonctionnel que formel et juridique. Grâce à cette indépendance, le lien des nouvelles sociétés avec le ministère de l’Équipement serait éliminé, ce qui permettrait l’entrée de fonds privés distincts pour chacune des sociétés et éviterait de cette façon l’existence d’intérêts croisés. En effet, il convient de relever que le DLR nº 22/2012 ne prévoit pas la privatisation ou la détention d’une participation privée dans le capital de ces nouvelles sociétés commerciales dépendantes de RENFE-Opératrice puisque, ainsi que l’énonce ladite norme, son capital social sera intégralement détenu par RENFE-Opératrice.
  • Au regard de la possibilité d’attribuer aux régions la compétence de décision eu égard au régime applicable aux trajets interurbains, la CNC rappelle que cette compétence n’existe que pour ce qui a trait au transport de voyageurs et non pas pour celui de marchandises, en signalant ainsi que la norme devrait être plus précise afin d’encourager la prestation de ce service de manière plus compétitive.

En guise de conclusion, et selon la CNC, « une réforme législative expéditive et partielle est entamée à l’égard d’un secteur dont la réglementation requiert une refonte profonde ». Par ailleurs, cet organisme rappelle qu’il prépare, à l’heure actuelle, une « Étude sur le transport ferroviaire de marchandises », dans laquelle il exposera sa vision globale du secteur, ainsi que ses recommandations en ce sens.