Décision de la Cour d’Appel de Paris sur la transmission par voie diplomatique d’un acte à une autorité étrangère
2023 International Arbitration Outlook Uría Menéndez, n.º 11
La Cour d'Appel de Paris a considéré que la simple transmission par voie diplomatique d'un acte à une autorité étrangère n'opère pas remise effective de cet acte à son destinataire et ne fait donc pas courir le délai d'appel à son encontre.
Les faits concernent Siba Plast, une société de droit tunisien d'import-export ('Siba Plast'), cessionnaire de contrats commerciaux d'importation d'équipements et de diverses prestations de service (les 'Contrats') conclus le 12 juin 2012 entre la société Giacorosa (cédante) et le Conseil National de la Transition Libyen ('CNT').
Ces Contrats furent postérieurement modifiés par cinq avenants qui introduisaient une clause pénale par laquelle une inexécution au 20 mai 2014 entraînerait une condamnation du CNT au paiement de dommages et intérêts d'un montant correspondant à la totalité du marché, ainsi qu'une clause relative à la résolution des litiges prévoyant de soumettre tout éventuel litige à l'arbitrage en Tunisie suivant les règles du Code de l'arbitrage tunisien.
Estimant que le CNT avait manqué à ses obligations en vertu des Contrats et de leurs avenants, Siba Plast déposa une requête d'arbitrage ad hoc, en application de la clause d'arbitrage. Le Tribunal fit alors droit à l'intégralité des prétentions de la demanderesse par une sentence rendue par défaut le 28 novembre 2014, condamnant la Libye au paiement de la somme totale de 279.974.500 euros au principal (la 'Sentence'). Puis, le président du Tribunal de grande instance de Paris accorda l'exequatur en France de la Sentence par une ordonnance du 6 mars 2017 (l' 'Ordonnance d'Exequatur').
Le 3 juin 2021, la société Siba Plast fit pratiquer des saisies sur des comptes ouverts par des entités qualifiées d'émanations de l'État libyen, la Libyan Investment Authority et la Libyan Foreign Bank.
C'est à partir de ce moment que l'État de Libye a indiqué avoir pris connaissance de la Sentence à l'occasion de ces saisies et a interjeté appel de l'Ordonnance d'Exequatur le 15 juin 2021.
Siba Plast a manifesté son opposition en alléguant que le 26 juin 2017, par l'intermédiaire de son huissier, elle avait fait remettre au parquet une copie de l'expédition de la Sentence ayant reçu exéquatur en vertu d'une ordonnance du 6 mars 2017, en vue de sa transmission à l'étranger pour notification au Gouvernement d'Entente Nationale (venant aux droits du CNT), au ministère de la Justice et à l'Organe de Police Judiciaire. Selon elle, cet acte avait été adressé par le ministère de la Justice, par lettre datée du 18 septembre 2017, au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères qui l'avait reçu le 19 septembre 2017 et transmis à l'ambassade de France en Libye par bordereau d'envoi daté du 27 septembre 2017. Le 31 octobre 2019, la Sentence revêtue de l'exequatur avait été signifiée à l'État libyen par « note verbale » adressée par l'ambassade de France, dont le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de l'État de Libye avait accusé la réception le 30 janvier 2020.
Siba Plast expose que la demande est irrecevable en raison de la tardiveté de la déclaration d'appel et que l'État libyen avait jusqu'au 30 avril 2020 pour interjeter appel de l'Ordonnance d'Exequatur de la Sentence. Elle soutient que le circuit de signification par voie diplomatique à un État étranger se distingue du circuit de signification par voie diplomatique à une personne physique ou morale ayant son domicile à l'étranger et que la signification à un État s'arrête à la remise par voie diplomatique étant donné que l'État lui-même qui a reçu l'acte se trouve être aussi le destinataire final.
L'État de Libye fait valoir que la société Siba Plast n'a pas apporté la preuve de la date du point de départ[1] du délai (3 mois) et considère que la date du 31 octobre 2019 ne peut pas constituer le point de départ de ce délai, dans la mesure où, même si Siba Plast a initié la procédure de signification par voie diplomatique en 2017, l'ambassade de France relocalisée en Tunisie a attendu le 31 octobre 2019 (pour des raisons non imputables à la Libye), pour transmettre l'acte au ministère des Affaires étrangères libyennes. Cette transmission, non effectuée en langue arabe, au ministère des Affaires étrangères libyen, ne constituerait pas, selon la Lybie, une remise au destinataire mais, conformément au circuit détaillé dans la circulaire du 10 novembre 2008, le passage de la frontière. Il soutient ainsi qu'ayant reçu l'acte de l'ambassade française, le ministère des Affaires étrangères du pays de destination devait encore transmettre l'acte au ministère de la Justice étranger, lequel devait à son tour le communiquer à l'autorité étrangère compétente afin que celle-ci le notifie au destinataire de l'acte qui, à l'instar de l'agent judiciaire de l'État en France, a seul compétence pour représenter l'État en demande ou en défense; ce qui suppose une transmission de l'acte du ministère de la Justice libyen à l'autorité compétente (l'huissier de justice libyen) pour remise ou notification. L'État de Libye ajoute que l'ambassade française n'indiquait pas qu'elle prétendait notifier ou remettre l'acte mais qu'elle le transmettait au ministère des Affaires étrangères libyen « pour transmission au ministère de la Justice libyen ».
Ce litige a été résolu par une ordonnance de la Cour d'appel de Paris du 19 mai 2022, rendue publique en janvier 2023[2], dans laquelle la Cour énonce que, depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (1er mars 2006), la procédure de notification internationale comporte trois étapes différentes, dont la première consiste en une remise de l'acte au parquet, la deuxième comprend la transmission de l'acte par l'intermédiaire du ministère de la Justice au ministère des Affaires étrangères aux fins de signification par la voie diplomatique à l'autorité étrangère, laquelle, troisième étape, a pour mission la remise de l'acte à son destinataire. Dans la mesure où la seule remise à parquet de la décision à signifier par la voie diplomatique ne constitue que la première étape de la procédure de notification, elle ne saurait constituer la preuve de la remise de l'acte à son destinataire et ne peut dès lors valoir notification.
Considérant que la transmission par voie diplomatique de cet acte a été opérée par note verbale du 31 octobre 2019 émanant de l'ambassade de France en Libye à destination du ministère des Affaires étrangères « aux fins de transmission au ministère de la Justice libyen » et que le ministère des Affaires étrangères libyen en a accusé réception le 30 janvier 2020, il n'est apporté aucun élément permettant de justifier de la remise effective et des diligences effectuées par ce ministère des Affaires étrangères libyen, simple autorité de transmission, aux fins de remise de cet acte à son destinataire à savoir en l'espèce le Gouvernement d'Entente Nationale, venant aux droits du CNT.
La Cour d'appel conclut que seule la preuve de la remise de l'acte à l'autorité étrangère compétente (le Département du Contentieux), afin de lui permettre d'apprécier l'opportunité de former un recours, est susceptible de faire courir à l'encontre du Gouvernement d'Entente Nationale le délai de recours pour interjeter appel et que cette preuve n'a pas été rapportée.
Cette ordonnance a été rendue publique après que la Cour d'appel ait rejeté, dans un arrêt du 13 décembre 2022, l'appel de Siba Plast contre la Sentence arbitrale, estimant qu'elle avait déposé son appel 24 heures après l'expiration du délai de 15 jours qui lui était imparti.
De plus, la Cour d'appel de Paris a confirmé récemment la levée des saisies obtenues par Siba Plast sur des comptes de la Libyan Investment Authority[3] et de la Libyan Foreign Bank[4], suivant l'arrêt de la CJUE du 11 novembre 2021 dans l'affaire C-340/20[5] qui a interdit l'adoption de mesures conservatoires sur des fonds gelés.
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[1] Dans le cas d'une notification internationale à destination d'un État étranger et en l'absence de convention internationale applicable, la Cour d'appel de Paris précise que l'article 684 du Code de procédure civile français prévoit que celle-ci doit être effectuée par la voie diplomatique.
[2] Ordonnance de la Cour d'appel de Paris No 21/11112.
[3] Ordonnance de la Cour d'appel de Paris, RG No 22/08920, du 9 mars 2023.
[4] Jugement du Juge de l'exécution de Paris, RG No 21/81853, du 23 Mars 2022.
[5] Affaire C-340/20, Bank Sepah contre Overseas Financial Limited, Oaktree Finance Limited (11 novembre 2021) ECLI:EU:C:2021:903.